PUBLIÉ DANS 'Le Petit Journal/Rio de Janeiro'
Le Brésil s’est réveillé le 27 octobre 2014 avec la même Présidente et le même
parti, au pouvoir depuis 12 ans. Qu’est-ce qui peut changer ? Quels sont
les enjeux ?
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Le suspense aura été de courte durée pendant
ces élections, et la seule surprise a finalement été l’élimination au premier
tour de la candidate écologiste (PSB) Marina Silva, trop tendre pour
atteindre la deuxième marche.
Le second tour a été mouvementé et le
résultat très étriqué. Le Partido dos Trabalhadores (PT) de Dilma Rousseff
s'est imposé avec 51,64% des voix: le scrutin le plus serré depuis la
première élection présidentielle au suffrage direct de 1989, après la
dictature militaire.
L’emprise du PT
Il y a 4 ans, Mme Rousseff avait pris les
rênes du pays avec une croissance de 7,5%, héritage des années Lula. L’ancien
président, pendant ses deux mandats, avait sorti 29 millions de Brésiliens de
l’extrême pauvreté et favorisé l’accès au crédit, augmentant ainsi le pouvoir
d’achat de millions de citoyens.
A l’actif de Dilma Rousseff pour son premier
mandat : une augmentation des bas salaires et une baisse du chômage jusqu’à un
plus bas niveau historique de 4,9 % en avril 2014.
Les problèmes actuels
En premier lieu, les comptes publics se sont
passablement dégradés en 2014, en raison notamment des élections
présidentielles : les dépenses ont augmenté près de deux fois plus
que les recettes lors des neuf premiers mois de l’année, par rapport à la même période
sur 2013.
Des indicateurs économiques pas franchement
rassurants.
Le Brésil est entré en récession au premier
semestre 2014, et devrait connaître sur l’ensemble de l’année une croissance
quasi-nulle, évaluée à 0,7 % par Brasilia. L’horizon est à peine plus dégagé
pour 2015, avec une prévision de croissance à 1,7 % et des destructions
d’emploi en perspective.
Cette perte de vitesse a plusieurs
origines. Tout d’abord, le pays est pénalisé par la chute des cours mondiaux
des matières premières, qui provoque une baisse plus que significative des
exportations. Rappelons que le Brésil est leader mondial dans l’exportation de
soja, de sucre, d'éthanol, de boeuf, de poulet, de jus d'orange... Cette baisse
des prix mondiaux a donc des conséquences catastrophiques sur la balance
commerciale du pays.
Le secteur industriel est également à la
peine. Dans l’automobile par exemple, la production s’essouffle: l’Anfavea,
la principale association de constructeurs du pays, anticipe une baisse de 10 %
de la production de véhicules en 2014, et un recul des exportations de 29 %...
L’inflation,
de son côté, ne cesse de progresser, atteignant 6,6 % en septembre, un
chiffre au delà de la limite définie par les autorités. Pour y faire
face, la Banque centrale brésilienne avait surpris les marchés trois jours
après la réélection de Dilma, en relevant son taux directeur de 11% à 11,25%.
C'est une des conséquences directes de
l’inflation : le pouvoir d'achat diminue et la pauvreté regagne du
terrain. Selon l’Ipea, l’organe officiel de
recherche économique appliquée, le nombre de très pauvres, dits ‘miseraveis’
(qui vivent avec moins de 70 reais par mois, soit un peu plus de 20 euros), est
reparti à la hausse après 10 ans de baisse consécutives, passant de 3,6 % de la
population en 2012 à 4 % en 2013.
L’institut privé Iets (Instituto
de estudos do trabalho e sociedades), a calculé de son côté un nombre de ‘miséraveis’
autour de 6,1 % de la population.
En cause: l’épuisement du programme de
‘transfert de revenu’ (transferencia de renda), qui permet de distribuer
100 reais par mois et par personne aux plus démunis, instauré par Lula dans le
cadre du fameux ‘Programa Bolsa Familia’. Ce programme de revenu minimum
n’arriverait plus aujourd’hui à atteindre les couches les plus pauvres, les
fameux 4 % de miseraveis. Surtout, l’inquiétude se porte désormais
sur l’après Bolsa Familia : quelles aides pour les jeunes qui
ont bénéficié des bourses pour leurs études ? Que vont ils faire
après ?
Enfin, la classe moyenne se sent
aujourd’hui délaissée, et reproche au PT des programmes destinés à s’assurer
les votes des plus pauvres, mais sans véritable portée économique.
La variable politique
Les élections ont mis en lumière une
séparation du Brésil en deux. D’un côté, les classes populaires, et notamment
le Nordeste, en faveur de Dilma Rousseff. De l’autre, les brésiliens plus aisés
pour le sénateur et candidat dit "du changement" Aécio Nieves.
Celui-ci promettait un tournant libéral de l'économie, et s’est rapidement
fait remarquer dans son premier discours post-défaite. Aécio Nieves a prévenu
qu’il faudrait compter sur une forte opposition, insistant sur trois
engagements fondamentaux
-la protection des libertés, et plus
particulièrement celle de l’entreprise
-la transparence dans l’administration
publique
-la défense de la démocratie
De façon plus concrète, Dilma Rousseff et le
PT ne disposent désormais que d’une majorité fragile : le Parlement est
divisé en 28 partis. Le 5 octobre, lors des législatives, le PT avait déjà
perdu 18 sièges, passant de 88 à 70 élus. Il reste malgré tout majoritaire
au Congrès, en restant allié avec le Parti du mouvement démocratique brésilien
(PMDB), mais les conservateurs pointent le but de leur nez et il faudra
composer avec.
Enfin, et c’est un point fondamental : la
corruption, omniprésente, continue de plomber le pays. Son coût financier
dépasserait les 25 milliards d'euros chaque année... L’affaire Petrobras, qui
implique des membres du PT dans un vaste système de corruption politique
au sein de l’entreprise pétrolière nationale, en est une bonne illustration.
Elle a d’ailleurs été au cœur de la campagne présidentielle, et n’a pas fini
d’empoisonner le pouvoir en place. L'enquête en cours devrait malgré tout
déboucher sur des résultats concrets, mais si les soupçons se confirment, elle
pourrait entraîner une crise sans précédent.
Et maintenant ?
Les défis sont innombrables. En
priorité, le gouvernement de Dilma Rousseff va devoir s’attaquer au
rééquilibrage des finances publiques, et faire preuve de discipline budgétaire
en réduisant les dépenses de l’Etat. Il devra également améliorer l’ensemble
des services publics de santé dans le pays, ainsi que le système éducatif et le
réseau de transports.
Dilma Rousseff devra ensuite s’attaquer à
plusieurs chantiers cruciaux :
- lancer une vaste réforme fiscale pour
simplifier le système d’imposition du pays, complexe et coûteux
- continuer d'augmenter le salaire
minimum
- contenir l’inflation : elle a
déjà promis de la faire passer en dessous des 4,5 %
- retrouver la confiance perdue des milieux
d’affaires et de l’ensemble du secteur économique, en redonnant le moral aux entrepreneurs.
Il y a donc du pain sur la planche ! Avec sa méthode et sa nouvelle équipe, Dilma Rousseff pourra-t-elle redonner de l'allant au Brésil ? Faudra-t-il passer par un virage de la rigueur 'à la brésilienne' ? À suivre.
Fiche pratique
PIB du Brésil en $ US courants : 2 246 milliards en 2013.
Population : 200,4 millions d'habitants en 2013.
7ème économie mondiale.
Il y a donc du pain sur la planche ! Avec sa méthode et sa nouvelle équipe, Dilma Rousseff pourra-t-elle redonner de l'allant au Brésil ? Faudra-t-il passer par un virage de la rigueur 'à la brésilienne' ? À suivre.
Fiche pratique
PIB du Brésil en $ US courants : 2 246 milliards en 2013.
Population : 200,4 millions d'habitants en 2013.
7ème économie mondiale.
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